RADIOPHONIEAcharnés
L’enfer c’est les autres

Acharnés
L’enfer c’est les autres

22 avril 2023

Nous avons une chance sur huit milliards de rencontrer notre âme sœur, quelqu’un·e qui puisse changer notre vie pour le meilleur. Mais nous avons également une chance sur huit milliards de rencontrer notre ennemi·e mortel·le et la possibilité terrifiante qu’une personne que nous n’avons jamais rencontrée auparavant puisse changer notre vie pour le pire. Danny Cho (Steven Yeun), entrepreneur défaillant, s’affronte avec Amy Lau (Ali Wong), entrepreneure autodidacte, s’insultent violemment dans un parking après avoir frôlé l’accrochage. Les enjeux croissants de leur querelle démêlent leurs vies et leurs relations dans cette série sombrement comique et profondément émouvante.

Écouter la chronique (6’49”)

Acharnés, nouvelle série audacieusement subversive de Netflix, nous raconte le délire d’Amy et Danny, qui succombent à une véritable guerre après qu’une grosse colère s’est transformée en rage éternelle. Leur emportement ne connaîtra pas de limites et leurs majeurs seront désormais pointés vers le haut sans répit.

Après ce que les habitués de l’aviation appellent une “quasi-collision”, c’est-à-dire quand deux avions passent trop près l’un de l’autre, mais déclinée avec des automobiles dans un parking , ce “presque accrochage” va déclencher une histoire singulière dans laquelle les deux protagonistes principaux vont s’appliquer à transformer le quotidien en épopée, grâce, notamment, aux performances exceptionnelles de Steven Yeun et Ali Wong, interprètes de Danny et Amy, qui ne reculeront devant rien pour gâcher la vie de l’autre à la recherche de la vengeance. Acharnés est une comédie noire qui se révèle extrêmement habile à dessiner le monde anxieux et colérique dans lequel nous vivons, comme une étude de mœurs des extrêmes émotionnels du XXIe siècle. Et c’est tout simplement savoureux.

Ali Wong (Amy)
Andrew Cooper • Netflix

Survivre à la pression

Danny est un entrepreneur en difficulté sous influence, celle de son cousin Isaac (David Choe), voyou minable façon ado attardé. Looser typer, Danny essaie sans succès de trouver de l’argent pour faire venir ses parents de Corée du Sud aux Etats-Unis. Amy, également entrepreneure, est aussi une épouse, une mère et une belle-fille, complètement terrifiée à l’idée de pouvoir perdre ce qu’elle a construit, au point qu’elle vit dans un état constant de combat ou de fuite en avant. Ces deux-là vont donc se retrouver empêtrés dans une guerre totale qui commence avec de la grosse farce lourdingue pour s’achever par des actes criminels bien plus graves. Et pourtant, ni l’une ni l’autre ne semble se soucier des dégâts qu’ils provoquent, que ce soit dans la vie de leur adversaire ou dans celles de leurs propres amis et même de leur famille.

David Choe (Isaac)
Andrew Cooper • Netflix

Toujours plus

Acharnés se construit sur un scénario qui, en plus de nous faire rire par ses outrances, est extrêmement bien écrit sur le mode la comédie noire et qui offre à Steven Yeun et Ali Wong la possibilité de se fondre complètement dans leurs personnages pour nous faire ressentir à leur endroit une certaine sympathie, alors même qu’ils se transforment en monstres assoiffés de vengeance, de bravades en agressions de plus en plus louftingues, parce que leur pétage de plomb pousse dans le terreau du mal-être, du manque de confiance et de l’exaspération face aux pressions que la société nous impose en premanence.

La fureur qu’Amy et Danny déchaînent l’une contre l’autre a beau être scandaleuse et extrême, tous les deux essaient, tant que faire se peut, de vivre la meilleure existence possible, tout en luttant contre les systèmes qui leur bouffent l’existence. Pour Danny, ce sont les banques, ses clients, sa famille, ses propres limites qui, selon lui, l’empêchent de réussir comme il pense qu’il le mérite. Amy, épuisée par sa difficile et dure ascension dans l’échelle sociale grâce à sa boutique branchée, voit sont mariage battre de l’aile, elle supporte de plus en plus difficilement George, son mari (Joseph Lee), plasticien raté qui ne gagne pas un rond mais qui dispose de temps pour s’occuper de leur fille (Remy Holt), dont Amy sent qu’elle lui échappe de plus en plus.

Ali Wong (Amy) et David Choe (Isaac)
Andrew Cooper • Netflix

Il faut que tu respires!

On sait que les meilleures histoires sont celles qui font résonner leurs spécificités jusqu’à l’universel. Vous et moi pétons les plombs pour des broutilles, en rêvant de pourrir la vie de l’abruti·e que nous tenons pour responsable… C’est précisément pour cette raison qu’il est difficile de ne pas compatir avec le désespoir et l’indignation de Danny et Amy, malgré leur mesquinerie, parce que cette rage qui les habite, qui nous habite, il faut la canaliser vers une échappatoire sous peine d’exploser. Donc, avoir recours aux insultes, ça revient à pratiquer une sorte de thérapie libératrice et jubilatoire, car, d’épisode en épisode, les interrogations sur notre propre rage nous font comprendre qu’il en faudrait peu pour qu’elle finisse par rejoindre l’intensité de la rage des personnages. Un petit exercice pour se calmer, méditer sur les titres de chacun des épisodes, dix citations qui vont de Werner Herzog à Carl Jung en passant par Simone Weil, Franz Kafka ou encore Simone de Beauvoir.

Bandes-annonces

Version française

Version originale sous-titrée

À voir sur Netflix

Saison 1 • 10 épisodes • ~35′

VF • VOSTFR