RADIOPHONIETransatlantique
Qu’un océan nous sépare

Transatlantique
Qu’un océan nous sépare

15 avril 2023

Marseille, 1940-1941. Transatlantique s’inspire de l’histoire vraie de Varian Fry, Mary Jayne Gold et de l’Emergency Rescue Committee (Comité de secours d’urgence). Risquant leur vie pour aider plus de deux mille réfugiés, dont de nombreux artistes activement recherchés par les nazis, à fuir la France occupée, un groupe de jeunes héros français et étrangers et leurs célèbres protégés occupent une villa à la lisière de la cité phocéenne. Face à l’omniprésence d’un danger mortel, des alliances inattendues et des histoires d’amour passionnées voient le jour.

Écouter la chronique (6’47”)

On se souvient bien sûr du film de Steven Spielberg, La liste de Schindler, sorti en 1993 et qui raconte l’histoire d’Oskar Schindler pendant la Shoah. Cet industriel allemand a sauvé entre mille et mille deux cents Juifs en les faisant travailler dans ses fabriques d’émail et de munitions en Pologne et en Bohême-Moravie. La série de Netflix Transatlantique raconte une autre opération de sauvetage de Juives et de Juifs, tout aussi authentique, pendant la Seconde Guerre mondiale.

Entre 1940 et 1941, une héritière américaine, Mary Jayne Gold, utilise l’argent de sa famille richissime pour sauver plus de deux milles personnes du régime nazi en France occupée. Parmi les réfugiés figurent des intellectuels et des artistes renommés tels que Hannah Arendt, André Breton ou encore Marc Chagall. Mary Jayne Gold aura une liaison avec un gangster déserteur de la Légion étrangère, Raymond Couraud, dit “Killer”. Elle a raconté cette histoire dans ses mémoires intitulées Marseille, année 40 (Libretto, 2006).

Cory Michael Smith (Varian Fry), Amit Rahav (Thomas Lovegrove) ert d’autres membres de la distribution
Anika Molnar • Netflix

De fiction en fiction

C’est d’un roman de l’Américaine Julie Orringer, The Flight Portfolio (pas traduit en français), qui raconte la même histoire, mais en se focalisant sur l’autre personnage clé de ces événements, un jeune journaliste Américain, Varian Fry, qui a fondé, avec un groupe de New-Yorkaises et de New-Yorkais qui partageaient les mêmes idées que lui, le « Comité américain de sauvetage d’urgence », dont la mission consistait à aider les intellectuels européens menacés par le Reich, à émigrer aux États-Unis depuis Marseille.

La série Transatlantique est clairement annoncé comme une fiction, même si le premier épisode s’ouvre avec une grammaire empruntée au documentaire et aux actualités cinématographiques de l’époque, c’est-à-dire avec des images en noir et blanc et la voix-off d’un speaker. “And now the news from Europe” une voix explique qu’en Europe, l’espoir des Juifs persécutés par les Nazis, c’est de trouver refuge en Amérique.

Gillian Jacobs (Mary Jayne Gold), Ralph Amoussou (Paul Diallo), Deleila Piasko (Lisa Fittko), Lucas Englander (Albert Hirschmann) et Cory Michael Smith (Varian Fry)
Anika Molnar • Netflix

Glaçage au sucre

Transatlantique, c’est du Netflix pur jus, qui préfère, à un univers obscur marqué par la guerre, des images bien léchées dans lesquelles les couleurs empruntent plutôt aux filtres d’Instagram qu’à la réalité historique. Loin de moi l’idée de faire le procès de la fiction et de l’utilisation de celle-ci pour raconter un moment de l’Histoire, il n’en reste pas moins qu’on peut le faire avec plus ou moins de talent. Par exemple, le personnage d’Albert Hirschman est fondé sur un mélange assez hasardeux, à la vraisemblance plutôt inconsistante, un mélange entre le vrai Hirschman, qui était bel et bien impliqué dans le comité de sauvetage d’urgence du journaliste Varian Fry et le gangster Raymond Couraud cité plus haut, l’amant de Mary Jayne Gold, une Mary Jayne Gold réduite à sa naïveté et dont les aspirations semblent trop lisses. La poésie sucrée et un peu écœurante avec laquelle la créatrice de la série Anna Winger, à qui on doit d’autres excellentes séries, Deutschland 83, Deutschland 86 et Deutschland 89 (Prime Video), sans oublier Unorthodox (Netflix). Anna Winger est d’ailleurs désormais sous contrat exclusif pour plusieurs années avec Netflix. Bref, la poésie sucrée et un peu écœurante avec laquelle Anna Winger enrobe son scénario ne sert pas vraiment l’histoire qu’elle veut nous raconter.

Alexa Karolinski (Hannah Arendt)
Anika Molnar • Netflix

Distribution exceptionnelle

Transatlantique marque quand même pas mal de points: les Africains issus de la colonisation française ont joué un rôle majeur dans la Résistance et cet aspect de la Seconde guerre mondiale est intelligemment abordé. Cependant, comme toute bonne production Netflix, c’est bien propret et rien ne dépasse: même si on sent que la souffrance est omniprésente, on ne la voit jamais vraiment et on est plutôt abreuvé de sentimentalisme avec des histoires d’amour qui se déroulent en parallèle, au point qu’on en vient presque à craindre que Hannah Arendt et Walter Benjamin se tripotent dans les alcôves de la villa Air-Bel, ce lieu clos un peu en dehors du monde et du temps, dans lequel se cachent les candidates et candidats à l’exil. Il faut donc aussi remercier Anna Winger de nous avoir évité le pire! Toujours est-il que Transatlantique est fortement recommandable, malgré les quelques faiblesses de son scénario dont certaines sont directement importée du roman de Julie Orringer. D’abord bien sûr parce qu’elle met en évidence une histoire héroïque de la Deuxième guerre mondiale qu’on ne connaissait peut-être pas et aussi grâce à la qualité de ses interprètes, de Cory Michael Smith en Varian Fry, Cory Michael Smith à qui on doit l’interprétation exceptionnelle d’Edward Nygma dans la série Gotham (Neflix), en passant par Gillian Jacobs qui prête ses traits à Mary Jayne Gold et Lucas Englander dans le rôle d’Albert Hirschmann, sans oublier les Français Grégory Montel, le Gabriel Sarda de Dix pour cent (Netflix), ici en chef de la police marseillaise, fasciste enthousiaste, et Lolita Chammah, secrétaire du Consul général américain à Marseille, qu’elle manipule à coup d’œillades, pour servir d’yeux et d’oreilles au “Comité américain de sauvetage d’urgence”.

Bandes-annonces

Version française

Version originale sous-titrée

À voir sur Netflix

Mini-série • 7 épisodes • ~50′

VF • VOSTFR