RADIOPHONIEFaux-semblants
La boule aux ventres

Faux-semblants
La boule aux ventres

29 avril 2023

Version revisitée du thriller de 1988 de David Cronenberg avec Jeremy Irons, la série met en scène Rachel Weisz dans le double rôle principal d’Elliot et Beverly Mantle, des jumelles qui partagent tout: drogues, amants et un désir inconditionnel de faire tout ce qu’il faut, y compris repousser les limites de l’éthique médicale, dans le but de remettre en question des pratiques obstétriciennes désuètes en se focalisant principalement sur les soins de santé pour les femmes.

Écouter la chronique (6’29”)

Nouvelle adaptation du livre de Bari Wood et Jack Geasland Twins, paru en 1977 (Faux-semblants, Calmann-Lévy), qui s’inspire de la vie plutôt troublée de Stewart et Cyril Marcus, deux jumeaux monozygotes, tous les deux gynécologues et retrouvés morts à l’âge de quarante-cinq ans, la série Faux-semblants relève plutôt d’une relecture du film désormais culte de David Cronenberg sorti, lui, en 1988 (en Suisse, indisponible en streaming). Relecture ne signifie cependant pas “mise à jour”, puisque cette adaptation féroce, drôle, horrifique et percutante quant à son propos féministe offre à la comédienne britannique Rachel Weisz une partition de haute voltige qu’elle interprète brillamment dans les rôles du couple de jumelles gynécologues Elliot et Beverly Mantle, dont les prénoms épicènes n’ont pas changé depuis que ces personnages ont été interprétés par Jeremy Irons devant la caméra de David Cronenberg il y a trente-cinq ans.

Rachel Weisz (Beverly Mantle)
Niko Tavernise • Prime Video

Le fardeau des femmes

La substance passionnante de l’histoire que raconte Faux-semblants, c’est à la fois la différence et la complémentarité des deux sœurs et leurs relation complexe. Une des premières scènes du premier épisode, excellente scène d’exposition, donne le ton. Elliot et Beverly décompressent en buvant un verre dans un bar après une journée éreintante de boulot, d’accouchements en urgences obstétriques plutôt dramatiques. Un gros lourd les aborde pour leur demander, avec toute la finesse que ça suppose, si elles se sont déjà tapé un mec ensemble et que si jamais, ça l’intéresse. Les frangines se relaient alors pour éclater cette tête de bite, qu’elles décident d’un commun accord de prénommer Larry, ce qui est plus poli mais à peine mieux que tête de bite. Les grandes lignes de la personnalité des deux gynécologues sont clairement esquissées. On les découvrira ensuite déterminées à bouleverser, d’une part, les soins dans le domaine de la gynécologie et, d’auter part, plus généralement tout ce qui concerne la santé des femmes.

Britne Oldford (Genevieve)
Niko Tavernise • Prime Video

La politique chevillée aux corps

Sans recours au militantisme, c’est à force d’humour cynique, de passion et d’horreur, au sens cinématographique du terme, que le politique se décline dans Faux-semblants. Beverly, la sœur plus calme, moins sûre d’elle mais plus cérébrale, souhaite mettre sur pied leur propre clinique pour favoriser un partenariat soignantes-patientes afin de libérer les parturientes de la stigmatisation dont elles sont toujours victimes et surtout de se débarrasser des mythes qui collent toujours à la grossesse, à l’accouchement et aux femmes en général.

Elliot est plutôt intéressée par la procréation médicalement assistée et elle pense au laboratoire de pointe qui ira de pair avec la clinique et dans lequel elle pourra réaliser des miracles dans le domaine de la fertilité et repousser les limites de ce qui est acceptable à propos de la fabrication de bébés sur mesure. Leurs visions seront-elles complémentaires où va-t-on assister à un déchirement des deux sœurs, un déchirement aussi violent que celui d’un périnée pendant un accouchement au forceps? Vous verrez…

Michael Chernus (Tom) et Rachel Weisz (Elliot Mantle)
Niko Tavernise • Prime Video

Un public averti en vaut deux

Faux-semblants n’est pas recommandée aux personnes sensibles, qui s’effarouchent facilement et qui ne supportent pas la vue du sang. Même les fans les plus endurcis de séries médicales pourraient avoir un peu de peine avec les images de crânes apparaissant couronnées par le vagin dilaté de leur maman, de césariennes ou encore d’hémorragies post-partum.

On reste cependant loin de l’imagerie gore du film de Cronenberg et des ses femmes mutantes finalement assez ridicules face à une représentation claire et sans chichi de la réalité d’une salle d’accouchement, qui ne laisse pas de place à l’intimité et qui fracasse le romantisme lorsqu’un accouchement se passe mal.

Rachel Weisz (Beverly Mantle)
Niko Tavernise • Prime Video

Mais encore…

Faux-semblants évoque également les thèmes de la race et de la classe sociale. De la mère porteuse asservie à la famille noire évidemment ignorée, des fausses couches inexplicables à la mortinatalité, des examens de routine dont les conditions d’exécution peuvent changer le cours de l’existence d’une femme. Toutes ces histoires que nous raconte la série nous interrogent évidemment sur l’éthique: que penser de la location de l’utérus d’une femme pauvre par une très riche imbuvable? que faire de la négation de la douleur féminine? comment se débarrasser de l’hypothèse qu’une femme noire vaut encore moins qu’une femme blanche? Ces questions extrêmes mais malheureusement courantes mettent le doigt sur les limites de la médecine, bien sûr aux Etats-Unis, mais pas uniquement. Ce contexte dense et difficile dans lequel évolue ce drame magnifique met en perspective des tragédies personnelles face aux relations complexes qu’entretiennent les deux jumelles gynécologues.

Bandes-annonces

Version française

Version originale sous-titrée

À voir sur Prime Video

Mini-série • 6 épisodes • ~60′

VF • VOSTFR